Pouvoir et Poison, Histoire d’un crime politique de l’Antiquité à nos jours,
LE POISON, CONTINUATION DE LA POLITIQUE PAR D’AUTRES MOYENS ?
L’usage du poison relève-t-il de l’archéologie des modes de conquête et d’exercice du Pouvoir ? A cette interrogation, l’universitaire Franck Collard répond par un essai associant une rigoureuse information à une élégante écriture narrative. In potestate venenum, dans la puissance réside le toxique - au sens figuré comme au sens propre. L’empoisonnement est-il la continuation de la politique par d’autres moyens ? Dans sa « Vie des Douze Césars », Suétone souligne combien l’un et l’autre sont étroitement articulés. « L’empoisonnement instaure, conserve ou abolit un pouvoir. » Le nom de Locuste, l’empoisonneuse patentée de Néron, est devenu proverbial. La mort soudaine d’Alexandre-le-Grand (323 avant J.C), succédant à de prodigieuses conquêtes et précédant l’effondrement brutal de son empire, a créé l’interrogation : n’est-ce point « le venin qui l’a occis » ? L’entrecroisement du réel et du fantasme escorte la saga historique du poison. Chez les héritiers de Philippe-le-Bel (inspirant un Maurice Druon, qui intitule « Les Poisons de la Couronne », le volume des « Rois maudits » relatif à l’ « enherbage » de Louis X le Hutin). Dans le même temps que le Pape Jean XXII dénonce, en 1317, « la menace obsédante du poison » sous la mitre ou à l’ombre de la tiare pontificale… » Du « second Bourbon au second Napoléon », le poison participe des jeux et des délices du pouvoir. C’est l’affaire dite des « poudres de succession » à Versailles, dans les milieux de la haute aristocratie, sous Louis XIV. Ou bien le soupçon d’empoisonnement de l’Empereur durant sa captivité de Sainte-Hélène. Ou enfin, Metternich, le chancelier autrichien, réputé avoir mis un terme criminel à la vie du Duc de Reichstadt, fils de Napoléon Ier, et donc aux espoirs de restauration bonapartiste. Cependant, si le recours à cette méthode de gouvernance ou de liquidation des adversaires ne cesse pas avec la modernité, il n’y a pas de commune mesure avec les « imputations, allégations et accusations nourrissant le discours politique ». Les progrès de la démocratie auraient-ils rangé le poison au rang de la science-fiction politique ? Qu’on en juge : aux rumeurs d’empoisonnement de l’eau, en 1832, suscitant l’épidémie de choléra, répond en écho la « guerre des gaz » de 1914. Devenu collectif, l’empoisonnement demeure une arme anti-personnelle des tyrannies ou des sociétés closes. Poutine rejoint Staline : épisodes de l’espion du KGB passé à l’ouest, Litvinenko et du président ukrainien Ioutchtchenko. Le camp d’en face n’est pas en reste : tentatives d’empoisonnement de Castro par les services secrets américains, et mort suspecte du Pape Luciani – Jean Paul Ier, en 1978. L’addiction au venin constitue encore une dimension spécifique de l’histoire politique contemporaine.
Michel Boissard
Historien
Franck Collard, Le Seuil, 2007, 357 pages