LES « CASCARELETTES » DE FREDERIC MISTRAL
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La Monarchie de Juillet (1830-1848) a deux mois lorsque naît Frédéric Mistral, à Maillane, en Provence. Il y mourra au début de la Grande Guerre (1914). En quatre fois vingt ans où il a vu se succéder « esglàri, pèsto / E tempèsto » - terreurs, pestes et tempêtes – le Prix Nobel de Littérature 1904 s’impose - de « Mireille » aux « Olivades » - comme le poète lyrique et épique de lenga nostra. Au détriment de ces « cascarelettes » - contes, récits, fabliaux, sornettes et moralités – dont il a enchanté, six décennies durant, les pages de « L’Armana Prouvençau », né avec le Félibrige en 1854. Témoignant, contrairement à l’opinion des « grincheux », que le provençal est capable « d’accoucher de la prose », et que la langue des félibres n’est pas bonne « qu’à chanter ». Il faut donc remercier l’éditeur Aubéron qui, en un seul volume et « vingt et une gerbes », nous restitue ces « Proses d’Almanach » célébrant avec une rare alacrité de style paysages, bêtes et gens, traditions et culture de la terre d’oc. Où l’on fait connaissance du chardonneret du bon pape Jean XXII – le dernier d’Avignon – qui tant excitait la curiosité des femmes de la ville. Où l’on apprend à accommoder les aubergines selon que l’on est de Sérignan – fricassées, de Carpentras - au four, du Thor - en barbouillade, farcies à la poêle à l’Isle-sur-Sorgue, en beignets à Maillane, et en rondelles, comme du saucisson, à Saint-Savournin ! Où l’on découvre qu’il y a un meilleur vin que celui de Tavel, de Langlade, de Chusclan ou de Chateauneuf : le vin du Purgatoire… Où l’on croise un obsédé du suicide qui, deux fois repêché de la rivière, finit pendu… son sauveteur ayant cru qu’il s’accrochait à une branche pour se faire sécher… Où, à en croire le Maréchal d’Arles : Gervais de Tilbury, témoin oculaire, les villes « qui sont sur les rives du Rhône avaient pris coutume d’abandonner au fleuve les cercueils des morts qui voulaient être enterrés aux Aliscamps », suscitant la convoitise de malfrats qui, au passage, dévalisaient les plus riches dépouilles… C’était un temps déraisonnable. Celui dont parle le proverbe : du temps que Berthe filait . Mais aussi un temps heureux, pour ce nigaud de Georges Banet qui, invité à tirer la porte derrière lui, la dégonde et l’emporte sur son dos !
Michel Boissard
Proses de l’Almanach Provençal, F. Mistral, Aubéron, 2008, 23 euros