OCTAVE MIRBEAU, L’INSTINCT DU REBELLE
Nîmois, poète, libertaire, de religion juive, Bernard Lazare (1865-1903), se lie d’amitié, des années durant, avec le romancier, dramaturge, polémiste, anarchiste et antisémite, Octave Mirbeau (1848-1917). Le premier des Dreyfusards présente l’écrivain du « Journal d’une femme de chambre » (rééd. Folio, 1984) comme un révolté permanent. « Né ainsi, et en venant au monde, portant l’instinct de se rebeller contre lui. » On vérifie la pertinence de ce jugement en se donnant le plaisir de lire un précieux et élégant recueil d’articles de Mirbeau consacrés à l’affaire Dreyfus. Convaincu par Lazare de l’innocence du Capitaine, il y stigmatise « les braves gens qui, du berceau à la tombe, n’eurent jamais qu’une idée – ce qui équivaut à n’en avoir pas du tout ». Et analyse courageusement les raisons de son aveuglement raciste passé (Palinodies). Cette lucidité coupante se retrouve dans d’autres pages - exemplaires ! - intitulées Chez le grand écrivain décrivant le fanatisme orgueilleux et la bêtise institutionnelle d’une poignée d’académiciens imbus de l’Honneur de l’Armée et de la sauvegarde de l’Ordre : « L’innocence de Dreyfus serait la fin de tout ! » Mais aussi dans cette lettre-ouverte, pathétique par sa volonté de convaincre, adressée A un Prolétaire. Expliquant à celui-ci que le sort de Dreyfus, victime d’une intolérable iniquité, est lié au sien propre, objet de l’injustice sociale. Car « l’Humanité est lésée en vous deux ». Dans ses « Souvenirs sur l’Affaire » (1935, rééd. Folio, 1993), Léon Blum écrit avec raison: « Tiraillée entre tant de passions contraires, l’âme de Mirbeau ne se donnait pas à demi. »
Michel Boissard
Dreyfusard ! O. Mirbeau, André Versaille éditeur, 2009, 5 euros