Mon roman et moi : salut à Bernard Pingaud

Publié le par Michel Boissard

Mon roman et moi : salut à Bernard Pingaud

 

En quelques dizaines de pages jubilatoires, ce qui n’exclut pas la profondeur du propos, Bernard Pingaud s’en prend à la conception mercantile et médiatique de la littérature. Pourtant, « Mon roman et moi » est aussi éloigné des polémiques germanopratines que des gloses savantes. Qu’on en juge : « J’ai de curieux rapports avec mon roman. Le matin, comme un chien fidèle assis au pied du lit, il attend mon réveil. Dès que j’ouvre les yeux, il saute sur moi et m’assaille de remarques. » Le roman conçu par l’auteur s’extériorise de ce dernier. Il est doté d’une vie, d’un caractère et d’humeurs propres. Il forme un couple avec celui qui l’écrit. C’est le thème récurrent de l’autonomie respective de l’homme et de l’œuvre. A ce sujet, Sartre reprochait à Mauriac de se comporter comme Dieu envers ses créatures, en ne laissant aucune liberté à ses personnages. Forme de dialogue socratique avec soi-même, cet essai alterne sérieux et drôlerie au travers de textes brefs distribués en trois moments essentiels : pendant le travail d’écriture, après l’achèvement du livre et sa publication, plus tard, lorsqu’un nouveau roman requiert l’esprit et la plume de l’écrivain.

Durant que le roman s’écrit, les relations entre l’écrivant et le récit relèvent du rapport amoureux : désir et feintes, patiences et impatiences, pudeurs et impudeurs, fâcheries et bons retours.  L’un et l’autre sont littéralement « à la colle ». Au point que, lassé, le créateur se plaint auprès de son œuvre : « Laisse-moi un peu souffler. Il n’y a pas que toi qui comptes dans ma vie. » A quoi le roman rétorque : « Cause toujours … » Et Pingaud de conclure : « Il sait bien que je n’ai aucun moyen de me débarrasser de lui, sinon de l’achever. » Le point final mis, le roman exige le succès, voire un prix littéraire. Or, l’écrivain rêve au lecteur unique qui aura tout compris de ses intentions. Le roman veut être invité chez Michel Field ou Guillaume Durand. Mais l’écrivain pense à « la dame en noir » à laquelle, dans une librairie, il a dédicacé son livre et qui  lui écrit pour exprimer son émotion. Le malentendu est total. Finalement, déçu des … 952 exemplaires vendus en trois mois, notre roman préfère porter ses pénates chez un fabricant de best-sellers « qui lui apportera les applaudissements dont il rêve. » Et notre écrivain, incorrigible, de chercher un nouveau compagnon conflictuel.

A 80 ans, Bernard Pingaud, qui vit et écrit en Uzège, n’a rien perdu de son alacrité de pensée. Même si, dit-il « mes historiettes ne font pas le poids devant la misère du monde, l’âge n’est pas un obstacle, mon meilleur livre est à venir. » Le romancier de « L’Amour triste », de « Bartholdi le comédien », de « Adieu Kafka » s’accorde à l’essayiste littéraire qu’il est depuis près de soixante ans, des « Temps modernes » à « L’Arc » et à la revue « Esprit ». Il demeure un écrivain qui compte pour tous ceux « que l’art réunit ».

 

 

Michel Boissard

 

Mon roman et moi: Bernard Pingaud, Joelle Losfeld, 2003, 6,50 euros.

Publié dans articles La Gazette

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