A LA SANTE DES HOMMES VIVANTS !

Publié le par Michel Boissard

           

 

Connaissez-vous Louis Guilloux (1899-1980) ? Aux premières pages de son ultime opus « Il faut vivre vieux » (Grasset, 1983), le cévenol André Chamson évoque « ce breton comme Guéhenno, fils de cordonnier comme Giono » qui, avec l’auteur de « Roux le Bandit » et  quelques autres figures  oubliées, crée alentour les années 1920 le groupe littéraire des « Vorticistes ».  Du latin « vortex », le tourbillon, qualifiant une pléiade de jeunes intellectuels épris de mouvement, de pluralisme et de liberté au lendemain de la Grande Guerre.  C’est sur les instances de Chamson que l’autodidacte Guilloux, successivement employé de commerce, pion dans une école privée et traducteur d’anglais à l’Intransigeant, écrit ses deux premiers livres « Maison du Peuple »  (1927) et « Compagnons (1930).  Ce « double chant monté des profondeurs », pour dire comme Barrès, exalte la fraternité ouvrière et les débuts du syndicalisme à Saint-Brieuc, vécus  par les petits, les obscurs, les sans-grades…. Albert Camus qui préfacera le premier titre aimait en Guilloux le témoin  qui se refuse à utiliser la misère comme marchepied romanesque. Et qui,  ajoutera François Mitterrand, « en peignant ce monde, appelle à le changer ». Changer la vie, transformer le monde - Marx entrelacé à Rimbaud -  c’est l’idéal qui éclaire « Le sang noir » (1935). Sans doute le roman le plus fort et le plus mémorable de Guilloux. Où la terrible année 1917 devient  le cœur battant d’une tragédie moderne. Dont un vieux professeur de philosophie, Cripure, est le pathétique et douloureux récitant.  Qui pour conjurer l’omniprésence de la mort lève son verre « à la santé des hommes vivants » - les soldats mutinés sur le front des Ardennes comme les révolutionnaires de l’Octobre russe…  Cette brûlante satire sociale -  qui gênera un peu le nîmois Paulhan en raison du « parti-pris d’horrible » affectant les personnages de bourgeois - est, avec les souvenirs posthumes de Louis Guilloux  « L’herbe d’oubli » (1984), le morceau de roi du passionnant recueil de romans et récits republiés en mémoire de ce Juste de la littérature contemporaine.

 

                                                                                                                                                    Michel Boissard

 

D’une guerre l’autre, L. Guilloux, Quarto/Gallimard, 2009,  29 euros

Publié dans articles La Gazette

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