C’EST A CRAONNE, SUR LE PLATEAU…

Publié le par Michel Boissard


 

 

Mémorable auteur des « Croix de bois » (Prix Fémina 1919), Roland Dorgelès (1886-1973) imagine  à la fin de son « Réveil des Morts » (1923) un cortège de « poilus » disparus s’exhumant des tranchées de 14/18 ! Pour réclamer des comptes à « Messieurs les Gros » !  Et prenant d’assaut la Chambre des députés… Pour l’historien André Loez, cette figure allégorique symbolise de façon saisissante les « mutineries » du printemps 1917, intervenues après l’échec sanglant de plusieurs offensives désastreuses ! A quoi il consacre  une thèse soutenue à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, sous la direction du Professeur Frédéric Rousseau. Episode controversé (les exécutions de soldats sur le front), occulté (désobéissance militaire/risque de contagion révolutionnaire), et mythique (Pétain « sauveur » de l’armée grâce à son « humanité »), l’auteur s’attache à « retrouver » la signification réelle de ce moment du premier conflit mondial. D’abord, par une éclairante critique des interprétations dominantes. Patriotique, celle de Guy Pédroncini (1967) pour qui le refus de se battre est surtout « le refus d’une certaine manière de se battre ». Pathologique, celle légitimée par le romancier Maurice Genevoix (1890-1980), irrécusable témoin du temps, faisant des mutineries « un abcès qui mûrit sournoisement et brusquement enfièvre l’organisme ». Ou encore, avec les chercheurs de l’Historial de Péronne, la minimisation actuelle d’un phénomène finalement limité (40 000 hommes sur quelque 2 millions de combattants) ne contredisant pas l’hégémonie massive du consentement à la guerre.  A. Loez revisite ensuite l’événement, mettant en évidence le croisement d’une logique de refus diversifié de la guerre (automutilation, désertion, fraternisation…) et d’une logique collective d’indiscipline, puis d’entrée dans l’illégalité. Erigeant les mutineries en authentique mouvement social. Dont il  dresse une typologie des acteurs aussi originale qu’inédite.  Montrant que le « refus de marcher » n’est ni forcément pacifiste ni nécessairement subversif, mais s’accorde au sentiment de protestation tragique qu’exprime la « Chanson de Craonne » : « C’est à Craonne sur le plateau / Qu’on doit laisser sa peau  / Car nous sommes tous condamnés / C’est nous les sacrifiés ».

 

                                                                                                                                Michel Boissard

 

14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, A. Loez, Folio Histoire, 2010, 12,40 euros

 

 

Publié dans articles La Gazette

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