DU POIVRE DANS LA CAMOMILLE

Publié le par Michel Boissard

 

 

                                                       

 

 

Sis à Auch, l’éditeur gersois Tristram nous fait le remarquable cadeau de la réédition d’un roman de l’écrivain franco-suisse Louis Dumur (1860-1933). Co-fondateur de la célèbre revue Le Mercure de France, dont il fut rédacteur-en-chef, il appartient au courant littéraire « décadentiste » représenté, à la fin du XIXe siècle, par J.K.Huysmans, Joséphin Péladan ou Alfred Jarry… 1914 transcende sa création dans un patriotisme couleur revanche. Qu’on en juge avec Nach Paris, Le Boucher de Verdun et Les Défaitistes… On pourrait donc l’ignorer s’il n’avait, selon le mot de Rémy de Gourmont (1858-1915), su verser du poivre dans la camomille ! Par exemple avec « Un coco de génie » (1902). Le jeune parisien Frédéric Loizeau villégiature chez des parents, à Donzy, dans le Nivernais cher à Jules Renard. On y mange bien. On y boit trop. On s’y ennuie ferme. Certain soir, lors d’une réception mondaine, le narrateur fait la connaissance de Charles Loridaine. Fils d’un grainetier, il chagrine sa famille à raison d’une fâcheuse propension à taquiner la Muse… Il émeut le cœur de la belle Renaude Chamot, Mais suscite les ricanements des bourgeois du cru. Véritables caricatures des « assis » de Rimbaud. En écoutant déclamer Loridaine, Frédéric a le sentiment du déjà lu et entendu… Bientôt, il comprend que le poète local est un plagiaire inconscient. Durant des crises de somnambulisme aiguë, notre homme apprend par cœur des morceaux entiers de Hugo, de Lamartine, de Vigny, de Racine et de Shakespeare, et même le Flaubert de « Madame Bovary », dont il ignore tout ou presque… Et qu’il restitue en toute bonne foi, dés qu’il est réveillé,  comme une production originale de sa plume… L’entourage rural gobe la supercherie par simple ignorance. Comment sortira-t-il de cette singulière occurrence ? On laissera au lecteur le soin de le découvrir. Et de méditer sur les ressorts de la création littéraire chez un romancier qui, disait encore Gourmont, « sourit rarement » !

                                                                                                                                                                                                                                                    Michel Boissard

Un coco de génie, L. Dumur, Trisram, 2010, 19 euros

 

 

 

Publié dans articles La Gazette

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