JULES RENARD, LA FLEUR BLEUE ET LE RIRE JAUNE

Publié le par Michel Boissard

                                   

Un point commun unit le comédien, poète et chanteur François Morel, qui était l’autre soir au Théâtre de Nîmes, et l’acteur - uzétien d’adoption  - Jean-Louis Trintignant. Ce dernier a  adapté pour la scène le « Journal » de Jules Renard (1864-1910). Dont le premier nommé préface avec une vivacité pleine d’empathie le « Théâtre » complet  aux éditions Omnibus. A (re) lire la dizaine de pièces ici réunies, on comprend la séduction qu’opère l’inoubliable démiurge de « Poil de carotte » (1900). Sartre l’a bien jugé : « Jules Renard se taisait par écrit. » Cette sobriété dans l’expression littéraire s’accorde à un minimalisme dans la traduction des passions. Renard est un pointilliste attaché aux détails de la vie. Attentif à ce qui est éparpillé. Peignant de toutes les teintes de gris un monde qui,  souvent, lui inspire la nausée. Cet écrivain se revendique « vespasien ». Se chargeant de « nettoyer les écuries d’Augias avec une cure-dent ». Mais  fait preuve en même temps d’une humanité généreuse. Le critique Pierre Schneider (Jules Renard par lui-même,1956) dit qu’il allie « le rose et le rosse ». La fleur bleue et le rire jaune. « La Demande » (1895), par exemple, est un bijou de lever de rideau. On y rencontre  un couple de paysans nivernais  - obtus et madrés - préoccupés de vendre une vache et…une fille à marier laide, à un  maquignon cynique et friqué. Sous la romance, voici la loi  impitoyable de la terre et de l’argent. « Chez ces gens-là, le mariage est une petite entreprise. » (Julia Hung)  Jules Renard dissèque aussi la conjugalité bourgeoise dans « Le Plaisir de rompre » (1897) et « Le Pain de Ménage » (1898). Ici, l’on marivaude, mais la souffrance affleure.  D’un commun accord,  Maurice, l’amant, quitte Blanche, la maîtresse. Sagan dirait qu’il n’y a pas là de quoi faire des grimaces.  Sauf que le cœur se fracasse sur le respect des conventions sociales. Là, deux couples parfaits, liés d’amitié, risquent d’éclater. Usés par l’accoutumance et rongés par l’ennui monogames, Marthe trompera-t-elle son mari et Pierre, son épouse ?  Mais échange-t-on les sentiments comme on partage les corps ? Avec « Monsieur Vernet » (1903) et « La Bigote » (1909), nous restons dans ce registre doux-amer. La satire emprunte  le ton de La Bruyère.  Et l’on y prend un plaisir extrême.

 

                                                                                                                                                  
  
Michel Boissard

 

Théâtre, Jules Renard,  Préface de François Morel, Omnibus, 2010, 28 euros

 

 

 

 

Publié dans articles La Gazette

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