L’AMOUR ET LA VIE D’UNE FEMME
Un style dru. Une écriture ample. Une trame dense. Le chaleureux roman d’Elsa Chabrol dresse la figure remarquable de Louise Steinberg en face de la Grande Guerre. C’est la fille d’un ancien ingénieur de l’équipe Lesseps au canal de Panama. Devenu un sgiù corse, un notable, de la région de Bonifacio. Où il a porté à son zénith l’exploitation agricole de la Pièva. Veuf de longtemps, Jules Steinberg a épousé Apollonia Tiberi, une domestique de dix-huit ans... De cette union est née Luisa - Louise. Qu’il élève avec son neveu Julien, un orphelin plus âgé, à qui Louise voue une admiration secrètement amoureuse. Maintenant le destin frappe à la porte. Apollonia disparaît prématurément. Le père meurt. L’exploitation périclite. Les banquiers la saisissent. La guerre de 1914 éclate. Julien, jeune avocat, est mobilisé. Trois fois exilée - du cercle de famille, de la terre corse, de ses plus chères affections - Louise entreprend un périple au terme duquel elle se fait femme. Au sens psychologique comme social du mot. « Louise est une femme née de cette guerre monstrueuse, une femme d’une nouvelle espèce, capable de donner la vie au royaume de la mort. » Ici commence un « roman dans l’histoire » dirait André Chamson. Femme - et bientôt mère - Courage, Louise traverse dangers et épreuves au long de pages d’un réalisme prenant. Qui évoque les accents inoubliés de Georges Duhamel (Vie des Martyrs, 1917) et de Maurice Genevoix (Ceux de 14, 1916-1921). Et fait écho à la double filiation de la romancière. Fille de l’écrivain Jean-Pierre Chabrol (1925-2001), dont le troisième roman « Fleur d’Epine » (1957) crée un personnage éponyme de jeune femme corse : « Ma tendre, ma sensible, ma sauvage, ma farouche, ma volontaire, ma secrète, sans fanfreluches… » Cette « chevrette » rebelle, ressemblant si fort à Noëlle Vincensini, résistante et déportée à Ravensbrück, qui donna le jour à Elsa Chabrol…
Michel Boissard
La guerre de Louise, Elsa Chabrol, Belfond, 18 euros
