LA PLUS PURE DES MUSIQUES

 Un peu avant la guerre de 1939-1945, le descendant d’un magistrat huguenot de Lussan -  « né d’un père uzétien et d’une mère normande » - fait « une courte retraite » parmi les frères de l’ordre de Saint-Benoît, au couvent de Monte-Cassino, en Italie. Au dernier matin d’un séjour au cours duquel il a beaucoup joué sur un « médiocre piano », André Gide (1859-1951) - c’est de lui qu’il s’agit - s’entend confier par son hôte, le père supérieur - un allemand d’origine -  que « la plus pure des musiques »  n’est due ni à Bach, ni à Mozart, mais à Chopin (1810-1849). Dont « l’inspiration et le jaillissement » ont tout de polonais. Mais que «  la fréquentation continuelle de l’esprit français » l’a invité « à exagérer les qualités les plus précisément anti-germaniques du génie slave ». Et l’écrivain de « Si le grain ne meurt » de poursuivre ce qui deviendra ses « Notes sur Chopin » (1931), par une antithèse entre Chopin et Wagner. Le second versant dans « les excès de tous genres, dans l’insistance, dans le pathos ». Tandis que le premier « charge d’émotion chaque note ». Et de comparer l’œuvre de Chopin à « l’intense concentration » des poèmes de Baudelaire, dont Jules Laforgue louait la prosodie au « ton de confessionnal » ! C’est que le compositeur des Préludes est, sans doute, brillant (Valse brillante) et rapide (les Scherzos),  mais aussi mélancolique et mesuré (Nocturnes).  Agitato, dit-on de sa mélodie. Mais Valéry  n’a pas tort de noter: « Est-il art plus tendre / Que cette lenteur ? … » Et Gide de souligner : « La flamme de Chopin est un feu de paille (…) Rien de si court ; mais ce n’est pas l’éclair. » Car il y a un Chopin « pour le public » et un « Chopin intime ». A redécouvrir.

                                                                                                                           Michel Boissard

Notes sur Chopin, A. Gide, Gallimard, 2010, 13,50 euros