LES FOUS DE DIEU
Un demi-siècle après la parution du puissant roman éponyme de Jean-Pierre Chabrol « Les Fous de Dieu » (1961) reviennent hanter « Le Théâtre sacré des Cévennes ». Fous - au sens où l’entendait Maximilien Misson, l’auteur de ce fascinant recueil de témoignages publié à Londres en 1707 - « pour l’amour du Christ ». Paysans et artisans dressés pour leur Foi. Contre l’absolutisme religieux de Louis XIV. Protestants au sens propre du mot. Camisards pour l’histoire et la légende. Préfacé avec rigueur par l’historien Philippe Joutard, republié avec une élégante sobriété par l’éditeur nîmois Alcide, voici le récit originel de l’apparition d’un phénomène irrationnel qui suscite encore bien des conjectures psychologiques et politiques : le Prophétisme. Qui déclencha la Guerre des Cévennes (1702-1704). Comment Pierre Chaman d’Uzès et Jean Cabanel d’Anduze, Jacques Bresson de Brignon et Marie Chauvain d’Orange, ou Durand Fages d’Aubais, tous gens de peu, mais loyaux sujets de la monarchie, furent-ils, parmi cent autres, « inspirés » ou « visités » par la Parole divine au point de prendre les armes contre le Roi ? A quoi rime cette gestuelle des corps - tremblements, convulsions, spasmes - s’apparentant à des manifestations d’hystérie, qui accompagne les visions de ces croquants ? De quelle manière expliquer que ces quasi-analphabètes invoquent savamment les Ecritures, citant couramment « la chute de Babylone » ou invoquant « L’Eternel, Dieu des Armées » ? Ce que Michelet qualifiera de « miracle du désespoir » conduit à penser historiquement le poids social de l’émotion face à une « déculturation » de masse. Car la religion est avant tout une culture. Et l’incendie cévenol « brûle encore dans les mémoires » contemporaines (André Chamson).
Michel Boissard
Le Théâtre sacré des Cévennes, M. Misson. Présenté par Jean-Paul Chabrol, Alcide, 2011, 25 euros