«MON PASSE REVIENT DU FOND DE SA DEFAITE »
Le sociologue, politologue et Nîmois d’adoption Philippe Corcuff rend un bel hommage au philosophe Daniel Bensaid (1946-2010). Dont il partageait à la fois l’engagement politique - de la L.C.R au N.P.A., et l’itinéraire intellectuel. « Mon passé revient du fond de sa défaite » : à l’appui d’un vers de la chanson d’Aznavour Non, je n’ai rien oublié (1971), Ph. Corcuff souligne que l’auteur de « Marx intempestif » (1995) croyait que « les voix et les voies des vaincus d’hier peuvent resurgir au coeur du présent afin de nous aider à débloquer l’avenir ». Et il nous offre un recueil de textes où la vivacité de la raison s’accorde à la mélancolique allégresse de ceux qui luttent à la lumière du « soleil noir » de la Révolution. Quatre portraits en émergent à l’écriture précise et subtile. Auguste Blanqui (1805-1881) dit « L’Enfermé ». Trente-sept ans de prison. Prophète révolutionnaire à la « vision mystiquede la politique, comme action inspirée par une foi, une éthique et une passion. » Karl Marx (1818-1883) dont la (re) lecture enseigne que « la question épineuse n’est pas celle du déterminisme (qui lui fut injustement reproché) mais celle de l’idée qu’il existerait parmi les possibles un développementnormal et des monstruosités déviantes. » Un subversif Charles Péguy (1873-1914) écrivant, après que l’Affaire Dreyfus ait dégradé la mystique en politique : « Nous sommes des vaincus (...) des victorieux vaincus qui ne veulent pas rester sur leur défaite… » Car tout peut encore être rejoué ! Enfin, l’écrivain allemand Walter Benjamin (1892-1940). Fuyant le nazisme et se suicidant à la frontière franco-espagnole. Qui invitait à « trouver les infimes bifurcations d’où partent des sentiers encore inexplorés ».
Michel Boissard
Une radicalité joyeusement mélancolique, D. Bensaid, Textuel, 2010, 19 euros