QUELQUE CHOSE DE PASOLINI…

Publié le par Michel Boissard

 


 

L’attention est, d’abord, captée par le génie du lieu. Ici, Nîmes. Où est né le romancier Christian Giudicelli (Prix Renaudot 1986). Une ville du Sud ;  jamais nommée, tout juste « silhouettée ».  Par la latinité « toute hérissée de monuments aux formes étranges » disait Marc Bernard. On côtoie l’amphithéâtre. On suit le boulevard du lycée. On passe devant le temple romain. Vers les Jardins de la Fontaine qui « empêchent la nature d’avoir mauvais goût ». Mais le microcosme de l’urbanité de ce superbe roman gît - dans la nuit intime et glauque d’une fin d’été - au Square de la Couronne, qui lui donne son titre. A l’ombre tutélaire d’Alphonse Daudet et de Guillaume Apollinaire. Le premier y a sa statue « enveloppé d’une cape, la tête chevelue inclinée vers l’épaule gauche, un crayon à la main, il cherche l’inspiration, d’où son air d’extrême lassitude. » Le second y fit passionnément l’amour avec Lou (Louise de Coligny-Châtillon), à l’Hôtel-du-Midi, quelques jours de décembre 1914, avant de partager « un long destin de sang »… L’intérêt du lecteur se porte, à présent, sur des personnages au relief accusé, qui tournent comme un manège alentour ce square emblématique. Jacques, l’écrivain vieillissant, natif du cru, exilé volontaire à Paris. Qui n’est, avec les femmes, ni un barbon de Molière, ni le clone du Professeur Unrath - amoureux de l’Ange Bleu (Heinrich Mann). Mais qui aime les garçons, Boris Godounov et la littérature…  Il revient chez Mamie Rose, sa mère, qu’un Alzheimer galopant réduit progressivement à l’état de légume. Il y rencontre des blessés de la vie. Toni, son médecin et camarade de jeunesse. Noëlle, l’aide-soignante. Amoureuse de Tobie, réduit au fauteuil roulant et aux paradis artificiels des suites d’un accident de la route… Surtout Jérémie, alias Mouflon, un vague cousin, dix-huit ans, dévoué corps et âme à Mamie Rose. Etrange figure qui tient de l’ange et du démon. Beauté d’une statue grecque.  Comme une réminiscence du Visiteur, le héros sulfureux du film « Théorème » (1968), réalisé par Pier-Paolo Pasolini (1922-1975), révélant à chacun sa nature et son destin. Echo tragique au mot du poète Pierre Reverdy : « La vie est une chose grave ; il faut gravir. »

 

                                                                                                                                                       Michel Boissard

 

Square de la Couronne, C. Giudicelli, Gallimard, 2010, 20 euros

 

Publié dans articles La Gazette

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