LE TEMPS DES SAUVEURS SUPRÊMES
Election présidentielle aidant, l’essai de l’historien Jean Garrigues participe des lectures opportunes nourrissant une réflexion utile. La Ve République a personnalisé le pouvoir grâce à l’élection au suffrage universel du Président de la République. Mais Marx l’observe dans le « 18 Brumaire de Louis Bonaparte » (1852) : le recours « systématique » à l’homme providentiel est une spécificité nationale remarquable. Le premier Bonaparte inaugure le « Temps de César ». Son sabre se charge de « fixer » dix ans de Révolution française. L’obsession de la défense du territoire inaugure le « Temps de Périclès ». Face au péril extérieur, Gambetta et Clémenceau s’inscrivent dans le sillage du « stratège athénien qui défendit sa cité contre l’invasion spartiate ». Vient le « Temps de Cincinnatus ». Du nom de ce laboureur qui fût trois fois dictateur de la république romaine puis retourna à sa charrue. Gardois d’Aigues-Vives, le rassurant radical-socialiste Gaston Doumergue (1863-1937), ancien ministre, Président du Conseil et Président de la République, sort de sa retraite toulousaine à la suite du coup de force fasciste du 6 Février 1934. Les « qualités » d’expérience, de sagesse et de compétence reconnues au populaire « Gastounet », s’accordent au « fantasme d’ordre, d’unité et de conservation sociale » qui traverse habituellement l’opinion publique en période de crise. Pertinent, J.Garrigues observe que cette image sera portée au paroxysme sous l’égide du « Vainqueur de Verdun » en 1940. La recherche inlassable du « père protecteur » trouve un écho dans le « Temps de Solon ». Quand le mythologique général de Gaulle s’érige en 1958 - tel le légiste grec du Ve siècle - en fondateur d’une nouvelle République… A suivre ?
Michel Boissard
Les hommes providentiels, J.Garrigues, Seuil, 2012, 24 euros