UN JEUNE HOMME LUMINEUX

Publié le par Biblinimes

 

 

 

Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? A la question que Sartre posait naguère à l’œuvre de Flaubert, Michèle Audin fait écho en interrogeant la vie brève de son jeune père. Maurice Audin (1932-1957). Assistant de mathématiques à l’université des sciences d’Alger, « emmené, torturé et tué » par les paras de la 10edivision de l’armée française. Sans doute, le seul « européen d’Algérie » à subir le même sort que tant de fellouzes, ratons, bicotsluttant pour l’indépendance de leur pays, sous le proconsulat policier du général Massu. Au cœur d’une guerre que l’officialité qualifiait hypocritement d’ « évènements »… A l’heure où elle en écrit, Michèle Audin se trouve dans une singulière position. Elle a trois ans lors de l’arrestation de son père. Maintenant plus du double de l’âge qu’il avait lorsqu’il s’ est enfoncé dans une nuit sans fin. Réputédisparu, par le commandement militaire, son corps n’a jamais été rendu à sa famille. S’installe alors dans le récit, une subtile et émouvante dialectique entre l’oubli et la mémoire. Dans le sillage deL’Acacia(1989) de Claude Simon (1913-2005), en quête autobiographique de son géniteur mort à l’aube de la Première guerre mondiale, lorsque le catalan de Salses avait à peine plus d’un an, l’auteur dresse procès-verbal de fragments objectifs d’une vie presque anonyme. M.A : né en Tunisie. Fils de gendarme et enfant de troupe. Passionné de mathématiques parce que cette science « n’a pas de plafond ». Militant communiste favorable à l’indépendance algérienne. Lecteur de Nazim Hikmet et des Lettres françaises, dirigées par Aragon. Il écoute volontiers les chansons de Montand. A Alger, il habite, entr’autres, rue de Nîmes. Ses cahiers sont remplis d’équations. Il est syndiqué à la CGT. Jeune mari et jeune père, ses carnets de comptes mentionnent dépenses du quotidien et extras. Fleurs. Restaurant. Ou livres… Sur les photos, il est beau de soleil, de jeunesse et d’amour. Pascal dit : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. »

 

Michel Boissard

 

Une vie brève, M.Audin, L’arbalète/Gallimard, 2013, 17,90 euros

 

 

Publié dans articles La Gazette

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