La Reine nue : un portrait à l’eau-forte

Publié le par Michel Boissard

La Reine nue : un portrait à l’eau-forte

 

 

En lisant au premier degré le nouveau roman d’Anne Bragance, on se prend à fredonner mentalement une chanson classique de Charles Aznavour… Les réminiscences ne manquent pas en effet : la Mamma italienne malade, ses enfants réunis autour d’elle, la mort qui rôde, les souvenirs qui affluent. Mais Giuletta Padovani présente un caractère littéraire d’un autre relief que la silhouette du refrain populaire. Il se place d’emblée dans la galerie des portraits d’âmes fortes, de mères possessives, d’héroïnes de roman familial où figure déjà la Génitrix de François Mauriac. Pourtant il n’y a ici ni volets clos, ni portes refermées, ni climat étouffant, ni quête métaphysique. La lumière qui éclaire la fiction est celle du Sud, décapante et crue. Tout comme l’est l’écriture d’Anne Bragance, nette à la manière d’une entaille de scalpel, tempérée par une tendresse enveloppante, une humanité complice.

Giuletta est née dans une rue jacassante et diaprée de Naples. Au soir de sa vie, dans la somptueuse demeure qu’elle a fait édifier à Portofino, elle éprouve les premières atteintes d’une démence sénile. Romancière à succès, mère de sept enfants issus de trois géniteurs différents, américain, français, italien, vite disparus du paysage, elle perd en même temps sa raison de vivre et la maison qui symbolise le point d’ancrage de la fratrie Padovani. A la mesure de l’inéluctable progression d’une maladie incurable, le récit est celui de la descente aux enfers de ce personnage monumental, principe vital effondré d’une famille. La Reine est nue.

L’originalité et la force de ce roman résident moins que chez Annie Ernaux, dans la description clinique d’un déclin mental et physique, que dans le pluralisme des regards portés sur la chute de Giuletta. En de courts chapitres, selon sa biographie singulière et sa capacité de résistance au drame partagé, chacun des Sept réagit au naufrage de Madame Mère. Cela s’entremêle au journal intime retrouvé, et aux paroles délirantes du monologue intérieur de Giuletta, sur un rythme littéraire syncopé. Déréliction qui révèle les arcanes d’une existence, comme pour en exorciser les ombres, et évoque le poète Dylan Thomas, en révolte contre la résignation à la vieillesse : N’entre pas sans colère dans cette bonne nuit/ Une torche à la main…

 

 

           

Michel Boissard

 

La Reine nue, Anne Bragance, Actes Sud , 2003, 18 euros.

 

 

 

 

 

 

Publié dans articles La Gazette

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