Jean Moulin : le trait d’union

Publié le par Michel Boissard

Jean Moulin : le trait d’union

 

 

            Tombé aux mains de la Gestapo puis mort sous la torture voici exactement soixante ans, Jean Moulin incarne une figure emblématique de notre mémoire nationale. Il n’est pas jusqu’au romancier Olivier Rollin, ancien mao et soixante-huitard militant, qui n’avoue avoir pleuré en écoutant l’incantation tragique aux accents barrésiens prononcés par André Malraux, le 19 décembre 1964, lors du transfert au Panthéon des cendres du fondateur du Conseil National de la Résistance[1].

La biographie que lui consacre Jean-Pierre Azema  évite le double écueil du mémorial et de l’illusion biographique qui, selon Pierre Bourdieu, consiste à reconstruire une existence en fonction de son aboutissement. Ce livre permet de comprendre pourquoi et comment une vie se transforme en destin. Pourquoi les racines identitaires familiales, entre Vendée Provençale et Midi Rouge, font du Bitterois Jean Moulin un fonctionnaire républicain si fort attaché aux valeurs progressistes et démocratiques. Comment il n’y a pas de solution de continuité entre le chef de cabinet de Pierre Cot, Ministre du Front Populaire, qui contribue à la défense de l’Espagne Républicaine, et le Préfet de Chartres qui tente de se suicider plutôt que de céder en 1940, aux injonctions de l’envahisseur nazi. De quelle manière, dans le temps où De Gaulle et les communistes se trouvent du même côté, celui de la France, le Délégué de l’ombre joue le rôle majeur de trait d’union (René Rémond) entre la Résistance intérieure et la France Libre, sans être l’agent du K.G.B. que la calomnie partisane tente plus tard d’accoler à sa mémoire. Dans quelles conditions enfin, Rex ou Max devient-il à la fois l’organisateur de l’armée de Londres, « le Carnot de la Résistance », et en intégrant les partis politiques au sein de l’organisation unifiée du C.N.R. peut-il jeter les bases d’une démocratie rénovée à la Libération.

            Le martyre de Jean Moulin a fait du « plus célèbre des Héraultais » un héros. Mais l’une des conclusions de J.P. Azema lui restitue une dimension fraternellement humaine : «  … ce petit provincial, fonctionnaire de la République, s’engagea en patriote lucide, devint un membre efficace du peuple de la nuit, mourut comme un brave ; somme toute, il ne dépare pas la longue liste de ces Français qui ont fait la France. »

 

      

Michel Boissard

 

Jean Moulin, le rebelle, le politique, le résistant, Jean-Pierre Azema, Perrin, 2003,  24  euros.

 



[1] Transfert décidé sur la proposition parlementaire du Député socialiste de l’Hérault Raoul Bayou.

Publié dans articles La Gazette

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