LA PLUME, LE GREC ET LE CHINOIS
Tout bruissant de réalisme et d’imaginaire ce roman de Régine Detambel ajoute une aile au murmure littéraire d’aujourd’hui. Voici Raphaël : il est veuf. Seul avec une fillette-fleur de quatre ans : Lila (sans s). Qu’il confie à une famille d’accueil. Car il tresse longuement les torons de la corde avec quoi se pendre à la poutre maîtresse de sa maison. Mais l’irrémédiable ne s’accomplit pas. « A l’aplomb de Raphaël, dans chaque tuile au dessus de la poutre, des centaines d’oiseaux dont le dessous des ailes est argenté. Des nids de pigeons. » Le froufroutement soyeux des colombidae ramène Raphaël (de l’hébreu rapha, guérir, et El, Dieu) au monde des vivants. Larguant tout son passé, il décide de se faire colombophile. Dans la première partie de sa vie, nous dit la romancière, Raphaël fut grec : « On veut tout savoir, tout comprendre, on se bagarre avec d’autres types pour savoir qui a raison. » Mais avec la vieillesse, il dcvînt chinois. C’est-à-dire sage. N’importe où hors du monde : et pourquoi pas dans une volière ? Quand Lila la danseuse, ayant épousé Greg le funambule - disparu le 11 septembre 2001 sur la terrasse du World Trade Center - fait retour auprès de son géniteur qui vit avec un trio de décalés - Alban, Charlotte et Cargo - le drame fracture la sérénité. Rien de plus naturel ! Dans un superbe récit à l’image de celui-ci, (Le Vol du pigeon voyageur, 2000), l’écrivain marseillais Christian Garcin donne en quelque sorte la moralité de notre histoire : «Si l’on enseignait la géographie au pigeon voyageur, il n’atteindrait jamais son but. »
Michel Boissard
Sur l’aile, R. Detambel, Mercure de France, 2010, 14 euros