UNE AILE MANQUE AU MURMURE FRANCAIS
Pour le romancier Michel Del Castillo, elle incarne « une certaine France » où l’aventure, frivole, de la vie parisienne, donne la main à l’ordre, un tantinet moisi, de la province. La sémiologue Julia Kristeva estime qu’elle « a inventé un alphabet (…) pour dire une étrange osmose entre ses sensations, ses désirs et ses angoisses ». Voici Colette (1873-1954). Marie-Céline Lachaud en brosse avec ferveur le portrait d’« apprentie pas sage ». Que fut, à vingt ans, l’auteur sulfureux des « Claudines » (1900-1903). Plus tard écrivain confirmé de « La naissance du jour » (1928) et romancière ambiguë de « La Chatte » (1933). Qui, de « Chéri » (1920) au « Fanal bleu » (1949), en passant par de belles pages du journalisme français, édifie une œuvre littéraire patrimoniale. Gabrielle, la fille de « Sido » (Sidonie Landoy) et de Jules Colette, ex-capitaine de zouaves, amputé de guerre, percepteur à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne), le confesse : « Imaginez-vous à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c’est seulement mon modèle. » S’ingéniant à brouiller les pistes, celle qui signera Colette se fabrique de multiples identités. De bonne élève. De progéniture rebelle d’une famille ruinée. De jeune épousée d’un viveur polygraphe – Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Qui l’incitera à écrire ses souvenirs d’enfance. De commensale des salons littéraires parisiens les plus en vue au début du siècle dernier. D’adepte des plaisirs de Lesbos. Et de danseuse - nue - de théâtre faisant scandale… Qui finit en Génitrix des lettres françaises à laquelle la République fera des obsèques nationales… Sans oublier l’ entêtante petite musique chantée par Aragon : « L’allée est solitaire où Colette passait / Dans le vent retombé toute poussière est cendre / Une aile va manquer au murmure français. »
Michel Boissard
Colette à vingt ans, une apprentie pas sage, M.C. Lachaud, Au Diable vauvert, 2010, 12 euros